Cercles de Lectures féministes

Chaque mois retrouve des pistes de réflexion sur une thématique féministes arpentée collectivement lors des Cercles. Et une bibliographie commentée et réjouissante pour lire sur le sujet !

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Par Marine B.
30 oct. · 5 mn à lire
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Tisser, réparer, guérir.... découvre ce que nos bibliothèques féministes ont à nous dire sur le sujet.

En septembre, on a joué avec les sens du mot "tisser" et replongé dans les modes de transmission de cet art ancien. Se raconter avec du fil, hériter de linge anciens et réparer les histoires familiales cousues dedans. En l'espace de 5 boocklubs, on a tiré le fil d'une conversation collective, aussi solide et brillante qu'un fil de soie.

Tisser, broder, repriser…c’est genré

Si l’on en croit la sociologue Yvonne Verdier, le destin féminin a été étroitement lié au fil et à l’aiguille, toutes classes sociales confondues. Elle rapporte dans son essai Manière de faire, Manière de voir · La laveuse, la couturière, la cuisinière des traditions, des rites de fertilités, de divination, des rituels de passage de l’âge du “champ-les-vaches” à celui de “jeune fille”. C’est mon dernier coup de cœur livresque et un objet d’étude sociologique nouveau pour les années 70 : la vie des femmes rurales.

Il y a tisser mais il y a aussi coudre, repriser, crocheter, broder, filer… tous transmis d’une génération à l’autre par tradition selon une non-mixité imposée. Sous nos latitudes, la transmission s’est rompue pour revenir sans contrainte et sans genre (parfois comme un loisir créatif marketé plutôt que comme un matrimoine). Ailleurs, prenons la Palestine par exemple, le tatreez est entré au patrimoine mondial de l’Unesco en 2021. Un récit sans mot de l’identité, du territoire, de la mémoire de la femme qui l’a brodé, si riche de significations qu’il en devient une forme d’écriture et un récit à part entière (mais j’y reviendrai).

Il y a de la magie et du pouvoir dans un fil et une aiguille

La veille du Cercle au café queer le Bonjour madame, l’une de vous venait tout juste de reprendre la broderie (hasard…?) Nous avons alors partagé des souvenirs de leçons. de travaux d’aiguilles, abandonnées et reprise des années plus tard, avec cette heureuse surprise : les bienfaits sur notre santé mentale. Sans doute la raison pour laquelle les ateliers se multiplient et tu en trouveras une liste à la fin de cette newsletter, y’a pas d’quoi 😎.

À certaines, il reste des draps brodées aux initiales de leurs grands-mère, un jupon élimé reproduit à l’identique par une mère attentionnée, des édredons faits mains qui réchauffent encore des générations plus tard celleux qui s’y lovent la nuit. Le pouvoir des fils est celui-ci : avoir encore chaud des travaux de nos aïeules, entretenir un lien au fil des générations, voir se délier les langues grâce à des initiales rouges au point de croix trouvées sur un linge. Magie, magie.


Entre l’aspect matrimonial du fil et l’ampleur des mots “réparation” et “guérison”, ce thème a été une véritable machine à voyager dans le temps (et pas seulement dans le passé, on se parle science-fiction un peu après).

Un langage artistique à part entière…

Qu’on prenne le mot “tisser” au sens propre ou au sens figuré (“tisser des liens”). Ou mieux, qu’on crée un pont entre les deux, ce mot possède un potentiel romanesque énorme : Le Coeur cousu de Carole Martinez, L’Odyssée de Pénélope de Margaret Atwood… Je te propose de découvrir l’étendu de ce potentiel demain dans La Biblio n°11 · 24 livres autour du thème “Tisser, réparer, guérir”. Une newsletter à 2€ qui te dévoile la liste commentée de nos lectures chaque mois. Une façon idéale de nourrir ta culture livresque et féministe et de soutenir les Cercles.

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Ronce est désemparée, elle ne sait comment aider. Un soir, au moment du coucher, Cendrine lui suggère alors un moyen de soulager sa mère. Le coeur de Ronce se réchauffe à cette perspective. Sa nourrice lui propose de broder un présent pour Blanche. […] Dès le lendemain, Ronce lui demande de lui fournir quelques chutes de soie et de velours, toutes teintées de vert. Ronce étreignant l’une des étoffes, décide d’y représenter une fabuleuse rose blanche, enlacée d’un buisson ligneux, épineux, chargée de mûres et de fleurs d’aubépine. La rose incarnera l’âme de sa mère, les mûres celle de sa sœur, et l’aubépine la sienne. […]

Les geste ancestraux, acquis non sans peine, s’enchaînent désormais avec vivacité, pressés par la necessité. L’aiguille pique, perce à travers les fibres, le fil émet un menu bruit de frottement. Tendu il se fixe à l’étoffe. Chaque point, chaque courbe, chaque pétale prend un tour définitif. Chaque instant s’ajoute au précédents. Ils s’accumulent en heures, régulières, de plus en plus denses. Ronce perd la notion de temps : il est devenu filaments de soie floche, noués au tissus, serrés sur la toile avec un soin extrême.

Roman de Ronce et d’Épine, Lucie Baratte

Le pouvoir guérisseur de l’art

La broderie, le tissage… sont capables de raconter l’histoire de personnes qui ne savent parfois ni lire ni écrire. Alors qu’est-ce qui nous retient de la considérer comme une langue à part entière, et donc comme une forme d’art ? Un art avec un pouvoir guérisseur à la fois sur cellelui qui contemple et sur cellelui qui crée.

🌿 À propos de guérison, Agathe de Les Épineuses (en bas à droite) était l’invité du Cercle en ligne ce mois-ci, pour nous partager son parcours de paysan·ne herboriste et les pouvoirs réparateurs de la consoude et du millepertuis 🌿 Retrouve ses tisanes hormonales et gynécologiques en vente lors des Cercles (à réserver ici) ou en livraison via son site ici

Au cours de nos conversations on a réalisé qu’une partie de la douleur d’un traumatisme tient au fait d’être dépossédée de la capacité à raconter notre histoire, selon nos termes et à la première personne. On devient un temps un·e figurant·e, quand ce n’est pas un objet, dans l’histoire d’un tiers.
De façon plus diffuse, on inculque dans la culture féminine le fait d’exister à travers un regard masculin extérieur (le male gaze). Ce qui donne un corps à peine habité ou de la dysmorphophobie, une histoire à peine écrite ou la nécessité de réécrire sa place dans un arbre généalogique. C’est le cas dans le roman Fille de Camille Laurens (qu’est-ce qu’on transmet à sa fille quand on est née avec la honte de n’être pas un garçon ?) ou S’adapter de Clara Dupont-Monod (raconter le handicap du 3e enfant à hauteur de la fratrie et de celui qui naitra des années).

Les émotions se réparent aussi

Réparer son lien à la colère par exemple. Cette émotion propre à soulever les montagnes, à lancer les plus formidables grèves (Une belle grève de femmes : les Penn sardines Douarnennez 1924 d’Anne Crignon ou la bd au trait bleu électrique La Belle de mai de Mathilde Ramadier et Élodie Durand) et qu’on confond abusivement avec la violence ou l’hystérie. Une émotion que les personnes élevées comme des femmes ont si peu le loisir d’apprivoiser (et donc de maitriser). L’une de vous disait qu’elle avait pris le pli de parler à sa colère (“ben alors qu’est-ce qui te contrarie comme ça aujourd’hui?”) parce qu’il faut bien démarrer une relation par un bout 🤷🏻. Il y a aussi lire des textes encolérés pour se sentir battre le cœur à l’unisson d’une autrice qui écrit comme on fait un album de rock, Ensauvagement de Gioa Kayaga.
Ou guérir de la honte chronique : la poétesse et essayiste Kyémis nous a permis d’aborder ce sujet avec Je suis votre pire cauchemar qui traite de la grossophobie intériorisée et la honte poisseuse qu’elle génère.

Cesser de réparer et se barrer !

Monique s’évade. Cette fois, elle ne recollera plus les morceaux brisés, ne cherchera pas une excuse à l’homme violent ni un moyen de faire tenir un peu plus longtemps ce qui est une relation, mais qui n’a rien d’amour. Cette fois, elle réclame son droit au repos, au soin, à l’abandon. Ce qui était magnifique dans ce roman c’est que non seulement c’était à l’enfant de prendre soin de sa mère, mais qu’il transmettait des gestes et une posture reçue de sa famille choisie (la communauté lgbtqia+). Un roman d’Édouard Louis à la frontière avec la sociologie. Parfois aussi, réparer sa relation à soi et vivre, implique de couper avec sa famille, même si cette décision dénote avec l’histoire que se raconte une société patriarcale à propos des familles nucléaires.

Les évasions ont été nombreuses ce mois-ci, elle débouchaient souvent sur des cabanes paumées en forêt ou en montagne (Hors d’atteinte de Marcia Burnier) pour des semaines ou des mois d’invisibilité, le plus souvent adoucie par la présence d’une amie, vieille malicieuse et expérimentée.
Et à la librairie La Vagabonde de Tours, on a partagé quelques références de science-fiction entre Ursula K Le Guin et Becky Chambers. Ce genre nous permettait une évasion salutaire dans un monde post-genre et post-domination masculine et parfois post effondrement écologique (mais avec tout de même des perspectives et de l’avenir). Rappelons-nous que la joie et l’espoir est la cryptonite de tout bon gouvernement d’extrême-droite, alors oser imaginer et se projeter dans des lendemains qui chantent, pacifiques et équitables comme ceux d’Un Psaume pour les recyclés sauvages c’est hautement risqués pour leurs fesses de réacs’.

Autre stratégie réparatrice à l’opposé de la solitude, il y avait les communautés. Qu’elles soient créés (Femme portant un fusil de Sophie Pointurier), contraintes par la politique (Viendra le temps du feu de Wendy Delorme), ou celles de nos vraies vies (éphémères ou pérennes) : les manifs, les collages féministes le temps d’une nuit, les halaqa pendant le ramadan, les carnaval pour renverser les dominations cul par-dessus têtes… et les Cercles de lectures féministes ☺️

L’Agenda d’Octobre

sur le thème “Unique en son genre”

Jeudi 10 octobre à 19h30 
au Kraft · Folies d’encre (Montreuil)

Dimanche 13 octobre à 14h30
 · La Librairie Majo (Paris 5e)



Jeudi 17 octobre à 19h 
· la Librairie Flora Lit (Paris 14e)

Et les Cercles en ligne

tarif unique est abaissé à 8€

Mardi 15/10 19h30
Dimanche 20/10 19h00
Jeudi 24/10 à 19h30 ✨ invitée : Juliet Copeland ✨
du compte Des Femmes et des archives et militant·e chez Féministes révolutionnaires

“Des femmes et des archives” par Juliet Copeland

Tu te rappelles du moment où tu as compris que le souci n’était pas “il y avait pas de femmes scientifiques/artistes/politique à l’époque” mais “on a consciencieusement effacé leurs traces, leur nom et réapproprié leur héritage” 😡 Un effacement dont j’ai personnellement pris conscience par l’histoire des femmes, pour comprendre ensuite qu’il s’étendait aussi à l’histoire des femmes noires parfois effacée par les femmes blanches (exemple : Metoo initié par Tarana Burke dès 2007, dix ans avant l’actrice blanche Alyssa Milano). Un effacement qui concerne jusqu’à l’existence des personnes lgbtqia+.

C’est la raison pour laquelle j’ai convié Juliet sur le thème du mois d’octobre
“Unique en son genre” jeudi 24 octobre à 19h30

Le compte instagram Des femmes et des archives nous replonge dans les archives et ravive notre mémoire au sujet des luttes, des personnes engagé·e·s issus des classes populaires, des minorités de genre. Il est tenu par Juliet à la fois apprenti documentaliste féministe et militante active au sein de “Féministes révolutionnaires”.

🧶 Quelques ateliers de broderie :
à la Librairie Majo avec Fidelys (Paris 5e) + d’infos
à la médiathèque de Noisy-le-Sec (93) le jeudi soir
+ d’infos
au 19M à Aubervilliers (93), broderie sur livres
+ d’info
& ateliers Tricot’thé chez Flora Lit (Paris 14e) les samedi 10h30 ou vendredi à 15h 👉 0171325925

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Marine